lundi 26 novembre 2007

Grèves et grèves. Kübler-Ross.

Mon habituel sens de l'humour est mis à l'épreuve quand je lis les sottises que profèrent, à l'occasion du conflit sur les régimes spéciaux, de petits napoléons de sous-préfectures et autres poujadistes primaires.

Si j'en parle, c'est un peu parce que j'ai eu la chance d'en vivre, en direct, en première ligne. J'ai eu droit à l'arrêt des services, mais aussi au blocage des non-grévistes par les grévistes, à l'envahissement violent de mon bureau, aux appels du Préfet demandant pourquoi les voitures du service, banderolées avec mon nom, bloquaient le centre ville. J'ai géré les avant-crises, les pendant-crises, et les sorties de crise. Rien d'exceptionnel, surtout à l'époque (78-83), mais très éclairant pour apprécier les postures et les gesticulations de conflits ultérieurs.

Quand vous voulez, ou surtout devez, introduire un changement qui est susceptible de ne pas plaire, et donc de déboucher sur un conflit avec possibilité de grève, il faut commencer par définir sa stratégie, et ses tactiques.
Définir ses buts de guerre, et les moyens de les gagner. Puisqu'on va à l'épreuve de force, identifier et fortifier ses alliés, constituer des réserves stratégiques (Ah! Mme Thatcher et votre stock secret de charbon pour un an!), établir finement son plan de communication.

Tactiquement, utiliser tous les moyens pour convaincre le personnel, en passant par la hiérarchie naturelle -ne comptez pas sur les syndicats pour vous y aider-, divisez les adversaires -ils vous opposeront "l'Union"-, isolez les "gauchistes" en négociant intelligemment avec les réformistes et pour cela utilisez vos biscuits mis en réserve. Si votre encadrement est plutôt favorable aux grévistes, vous êtes TRES mal...

Enfin sachez utiliser le temps, pour faire mûrir un process d'évolution que Madame Elisabeth Kübler-Ross a décrit par ailleurs, mais qui est très utilisable dans ce domaine.
Face à une situation considérée comme "impossible, inacceptable", bien qu'inéluctable, nous réagissons ainsi :

- 1 nous subissons un choc, et nous nions la réalité (sidération)
- 2 nous nous mettons en colère
- 3 nous essayons de marchander, pour éviter l'inévitable
- 4 nous faisons une dépression
- 5 nous pouvons alors seulement entrer dans une phase d'acceptation.

Si vous accompagnez vos grévistes jusqu'à l'acceptation, vous avez gagné, le travail peut reprendre. Si vous ne comprenez pas ça, attendez-vous à de gros ennuis. Par exemple, pendant la phase "colère", laissez brûler le bois : ce n'est pas le moment d'envoyer les CRS. Au moment de marchander, usez de votre salive, de la carotte et du bâton. Au moment de la dépression, dites des mots gentils de compassion. Faites tout ceci à contre-temps, et vous finirez roulé dans le goudron et les plumes.

Il peut arriver que la grève "pète" toute seule. Vous ne l'avez pas vu venir. Faites très vite le process précédent dans votre tête :
1 "Ah, c'est pas vrai! ils vont pas recommencer!"
2 "Alors, bande de nuls, vous n'avez rien vu venir!!? Ils vont encore nous faire ch... Qu'est-ce qu'ils veulent encore? Des sous? J'en ai pas! De la dignité? Mais pour qui ils se prennent! "
3 "Appelez Thibault et Chérèque. Dites-leur d'arrêter ça. Chef? tu gères, ou je gère? Si oui, avec quoi?..."
4 "Je suis foutu. Ca va être le foutoir, encore. Mon patron va encore me lâcher en rase campagne, après m'avoir dit de rien céder. Et je n'ai pas que ça à faire, etc"
5 "Bon, faut y aller... Voyez si on peut recevoir une délégation..."

Alors seulement, vous aurez suffisamment repris vos esprits pour sortir à moindre frais de la crise.

La crise des Régimes spéciaux me parait contraire à toutes les règles du bon sens. Faire des économies? on est parti pour que ça nous coûte cher (avis de JM Apathie sur son blog). Assurer l'équité? C'est bien sélectif, comme approche. Bousiller la CGT? On sait ce qu'on a, on ne saura pas qui on aura après, et puis ce n'était pas la peine de faire l'unité de tous contre soi. Rassembler les français pour réussir les réformes? Je ne vois que divisions, petites ruses infâmes, volonté d'humilier, mesquineries (surtout Fillon, un spécialiste, droit dans ses bottines). Rien qui ressemble à une réforme réussie. Alors on lance les beaufs, à grand renfort de propagande TV, à réclamer "la fin des grèves dans les entreprises en monopole"," la suppression des subventions aux syndicats", "envoyez les CRS les remettre au boulot", etc. Seules victimes de ce foutoir : les usagers qui galèrent, et l'intelligence politique.

Maintenant, on crie à la "Victoire de Sarkozy contre des privilégiés". Une jolie victoire à la Pyrrhus pour l'instant, car on a eu tout ce foutoir uniquement pour commencer à parler. Et je ne vois pas comment en 4 semaines, le gouvernement va les conduire à accepter sa réforme. Bonne idée d'avoir dit 4 semaines : ce sera juste avant Noël, une bonne épée de Damoclès. Pourquoi ne pas avoir dit 6 semaines, ça nous amenait après les fêtes... et la loi sur le service minimum.

"Si on ne fait pas cette réforme, on n'en fera pas d'autres", disent-ils. En s'y prenant comme ça, il vaut mieux effectivement ne pas continuer.

4 commentaires:

Anonyme a dit…

Je suis très flatté de m'adresser à un spécialiste de la gestion des conflits qui de surcroit connait bien son "Kübbler Ross" (personellement , je ne connaissais que Diana). Il y a une constante dans cette période d'agitation sociale, c'est que la plupart des observateurs ne pouvant remettre en cause le problème de fond (les 40 ans de cotisation pour tous), contestent la méthode!! Le risque , c'est de faire passer la méthode au premier plan et de de laisser tomber le fond du pb ( égalité des salariés face aux pb des retraites, representativité et financement des syndicats etc).
En tout cas, vous êtes trés fort pour disqualifier vos adversaires grâce à une terminologie bien choisie (poujadistes, beauf) ... Vous auriez du faire du syndicalisme !

François a dit…

J'ai revendiqué le droit à des coups de gueule. Je n'ai pas d'adversaires sinon la sottise et ceux qui la représentent. Enfin mon humour m'abandonne devant l'actualité.
Il n'y a pas de problème de fond sur les 40 ans, sauf que je voudrais que M Fillon m'explique pourquoi il joue les durs après avoir été aussi laxiste il y a 5 ans. Je voudrais comprendre en quoi il y a équité (et courage) à s'en prendre aux cheminots, et pas à d'autres catégories tout autant priviligiées, alors que je n'y vois que démagogie et électoralisme. Tout le monde n'a pas la chance d'être pêcheurs au Guilvinec, internes en médecine, buralistes, ou mieux, agriculteurs.
J'enrage d'avoir vu le gouvernement faire traîner la grève 3 jours de trop, ne pas organiser de transport parallèles (le long du RER B par ex) pour exaspérer "les braves gens". Et se vanter d'avoir réglé le problème, comme s'il l'était vraiment.
J'enrage de voir à quel point la SNCF et la RATP sont mal managées, incapables d'anticiper, infoutues de faire marcher 50% des trains quand il y a 10% de grévistes.
J'en ai assez de cette propagande TV, où tous les jours des gens comme JP Pernaud appellent à la guerre civile, et ça me désespère de voir que ces ficelles énormes marchent si bien.
J'en ai assez d'un pays où la police est si mal considérée que, dès qu'il y a un incident, une émeute se déclenche en banlieue. De constater que tous ces flics qui quadrillent le terrain, aidés par des milliers de caméras vidéo, sont incapables d'empêcher la violence, contre cette jeune fille dans le RER par exemple.
On le sait que la répression n'est pas efficace à terme, qu'il faut aussi traiter les causes. A quoi servent Boutin et Amara, sinon de potiches-alibis? On nous prépare là aussi à une guerre civile?
Tout ceci finira mal, mais l'important est de bien choisir ses boucs émissaires.

Anonyme a dit…

Il y a des situations où il n'y a plus de place pour l'humour et où effectivement le coup de gueule est salutaire.
Dans cette histoire il est difficile de connaîre les dessous. Le gouvernement serait-il cynique à ce point ( faire durer la grève 3 jours de plus )?
Les évidences du conflit: c'est l'exaspération des usagers la certitude pour le gouvernement de défendre une cause juste (pas la peine d'en rajouter) et pour les syndicats la nécessité de sortir des négociations la tête haute..

François a dit…

Oui, d'accord sur les évidences

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