dimanche 5 février 2017

Le 5 février 2007, tropique du Cancer

Le 5 février 2007, le soleil se lève sur Abou Simbel, non pas un jour glorieux où il pénètre jusqu'au fond pour illuminer les dieux, un jour ordinaire parmi une foule de touristes. 



Au retour, le car prend du retard car nous avons des squatteurs : un capitaine de l'Armée en inspection, et sa famille en passagers clandestins. Le temps de demander aux différents points de contrôle si la soupe est bonne, et nous avons perdu une demi-heure. 

Donc le convoi va très vite, trop vite, environ 120 km/h sur une route improbable, parsemée de nids de poule et de travaux en cours, et l'accident arrive, inch'Allah. Le car touche, le car pète sur les cailloux du désert, se soulève pour retomber heureusement sur ce qui lui reste de roues, et finit par s'échouer dans le sable et dans un nuage de poussière.


A l'intérieur, on est secoués comme des pois chiches dans une boite. C'est interminable, mais curieusement ça finit par s'arrêter. On est sonnés, mais je ne n'en sais rien, je suis dans les pommes. Tout le monde descend, et je reste, caché derrière le rideau bleu.


J’avais vaguement conscience que les secours allaient venir, et qu'on essayait de me ranimer. Mon destin était fixé, pour un bon bout de temps : on s’occupait de moi, et moi, je me laisserai dorloter !

L’ambulance attendue a été longue à venir, mais nous n’avons pas été déçus : un engin sorti du fond des âges mécaniques, un truc à roues – quand même !- tiré d’un hangar d’une caserne de ce coin de désert, une récupération au moins de la bataille d’El Alamein. Le chauffeur et son aide, baptisés brancardiers, m’ont sorti du car, enfourné, et nous sommes partis à toute allure (80km/h en pointe ?). La boite de vitesse grinçait, malgré le double pédalage obligatoire, et on sentait chaque bosse. J’étais
allongé sur le plancher sur ce que je ne saurais appeler un brancard, une espèce de planche en fer, très inconfortable, mais plus sûre que le coffre à outils en bois où mes accompagnants s’étaient assis : 3 cahots plus tard, les voila effondrés dedans, le derrière par terre et les pieds en l’air ! Voila une
photo de perdue !

Voila enfin l’hôpital d’Aswan ! Au début on croit que c’est tout neuf. J’ai été bluffé par leur équipement radio et le scanner auxquels j’ai eu droit dès mon arrivée.  Mais le reste ! Je suppose que l’investissement a été offert par un Roi du Pétrole de la région, mais qui a oublié le fonctionnement…Pas de drap de dessus dans les lits, juste une couverture en poil de chameau, jamais nettoyée, tout le reste à l’avenant. Les pauvres gens…

Enfin un diagnostic : fracture-écrasement d'une lombaire.Le schéma continue : je me laisse dorloter.   et on s’occupe de moi. Les médecins, 2 ou 3 fois, pour me dire que je suis « rapatriable » sur le Caire. 

Grave problème le soir : il me fallait un engin « version homme » que l’on appelle « pistolet » dans nos hôpitaux bien de chez nous. … Enfin on nous apporte CA !


De la tôle émaillée éclatée, avec des traces de bordures bleues Si vous le prenez pour une bouilloire, ne prenez pas de thé ici ! On l’a baptisé « l’objet de fouille », mais sans pouvoir vraiment l’identifier : abandonné par les soldats de Napoléon lors du nettoyage d’Assouan, ou donné en signe d’amitié éternelle par un kolkhoze de l’Oural, lors de la construction du barrage ?

Vers 11h le soir, on perçoit un peu de calme, et on se risque à éteindre la lumière… Erreur : brusquement ça rallume, la police, toujours en masse, arrive, triomphale, me rapporter mon téléphone portable oublié dans le car… En fait un arabophone de la famille a appelé notre numéro, est tombé sur le commissaire de police d’Assouan, lui a tout expliqué. Pour moi un PV de 3 pages en arabe à signer…

Et puis, encore plus tard, ce sont les médecins, représentés par le chef de service (comment dit-on Mandarin en arabe ? Ca doit exister…), qui m’apportent le « medical report », sans lequel je ne peux partir. Mais il faut payer cash-tout-de-suite leurs honoraires, 1000 LE, pas une ruine, mais on ne les a pas ! Et il n’y a pas de crache-thunes ! Alors, see you tomorrow, hein, on veut dormir ! Lumière! Choukran…

Le lendemain, effectivement tout se règle grâce au représentant du rapatriement. Ouf ! Et aussi la facture de l’hôpital. Tout en arabe et chiffres « persans », je ne saurai jamais le prix. Le rapatriement vers le Caire en « Air Ambulance » est prévu, mais quand et comment ?

Mais nous avons un visiteur imprévu : un jeune homme, très bien sur lui, assez « classe », (un stagiaire de l’ENA égyptienne ?) nous explique qu’il est du cabinet du « Governor of Aswan », qu’il est chargé de nous transmettre, de sa part, ses compliments, ses bons voeux, et un cadeau,
bien emballé dans du papier brillant rouge avec des petits coeurs (en avance sur la St Valentin ?) : c’est une très belle eau de toilette de fabrication égyptienne, mais, sans vouloir dénigrer les cadeaux qu’on me fait, un épouvantable patchouli très oriental, absolument inutilisable ! Je remercie beaucoup. Si le « Governor » fait un cadeau à tous les blessés de la route, il va vite se rendre compte que ça va lui coûter moins cher de faire respecter le code de la route. On peut même lui vendre des radars automatiques, s’il en veut !

De même, Madame  a été « fleurie », un grand bouquet de glaïeuls, du genre de ceux qu'on offre aux cantatrices à l’Opéra de Romorantin, ou qu’on donne à Mme Chirac quand elle inaugure une crèche. Vraiment très gentil. Nous remercions beaucoup. 



Je n’oublie pas non plus une femme, venue de la chambre d’à coté où elle veille son beau-père (« Comment va-t-il ? – Inch’Allah ! ») nous offrir des dattes dans un bol en plastique. Ils sont adorables!
Mais le docteur égyptien est arrivé du Caire, avec son avion, une bâche de plastique, et à 14h, on vient m’emballer, et faire marcher une pompe à vide et à main. On me traîne sur un brancard spécial, Spring Tours s’occupe des valises, et nous quittons la chambre. Un monde fou dans le couloir : tous sont là pour nous souhaiter un bon retour. Je lève ma main, et ils viennent la serrer très amicalement. Au revoir…choukran !

Une ambulance plus moderne nous conduit à l’aéroport, mais je ne vois rien. On me dit que l’on franchit le vieux barrage, que l’aéroport est tout beau, en style post-pharaonique, sans doute comme la gare de Louxor. L’ambulance va directement sur la piste, auprès du Beechcraft-ambulance du Ministère de la Santé Egyptien. Très chic de voyager en avion privé ! Et au départ d’Assouan, ça fait très Mitterrand… 

Il n’y a qu’un seul défaut pour un avion sanitaire : le brancard ne passe pas. En effet la porte est sur le coté de l’avion, et il n’y a pas la place de tourner pour me mettre dans le sens de la longueur. Qu’à cela ne tienne, ils savent faire : on fait glisser un siège au maximum vers l’avant, on prend 4 costauds, et je passe de travers, sur la tranche, retenu par mes sangles! Ouf…

Le vol a duré 2 heures, sans problème. Quand on a félicité à l’arrivée le Commandant pour son atterrissage tout en douceur, il en a rosi de plaisir. Il nous a alors raconté qu’il lui était arrivé la même chose 10 ans auparavant : la route d’Abou Simbel, un accident, une vertèbre cassée…Nous nous compatissons/félicitons mutuellement…

Une ambulance encore plus moderne nous emmène à l’Hôpital anglo-américain du Caire qui est dans une grande île sur le Nil. Très années 30, de grandes chambres, et des plafonds très hauts… Des draps frais…Le médecin qui avait assuré le transport passe les consignes à un de ses collègues, et rapidement, je suis de nouveau très entouré : le directeur de Spring Tours au Caire, charmant ; le médecin de l’Ambassade de France, francophone parfait, qui nous donne sa carte pour qu’on puisse l’appeler n’importe quand si il y a un problème ; un neurologue, un orthopédiste, qui
demandent un nouveau scan…

Le temps de faire tout ça, il est près de 11h du soir, quand la faculté revient avec les photos et le diagnostic : fracture-tassement de la L(ombaire)1, et sans atteinte neurologique. J’ai le choix entre me faire opérer tout de suite au Caire, ou demander le rapatriement car je suis transportable. Le choix est vite fait, et ma joie contraste avec la déception de l’orthopédiste, qui voit disparaître une belle occasion de faire une belle opération sur un patient solvable… Il faut parfois être égoïste, non ?

Le jour se lève sur le Caire, et le départ sera pour  demain : nous avons eu un contact avec le médecin de IMA, qui est à Niort. Il a bien reçu dans la nuit le rapport des deux spécialistes cairotes, le processus est engagé, le médecin français, un spécialiste des rapatriements sanitaires, va prendre l’avion de 13h40, et sera là ce soir avec le matériel… Tout va bien.

Vers 10h le soir, arrive une tornade : éclats de voix dans les couloirs, chocs contre les murs, la porte s’ouvre en fracas : le « french doctor » et son matériel sont arrivés. La tête et le look du baroudeur, à qui on n’en fait pas... 3 minutes après son arrivée, il avait déjà eng… tout le petit monde des infirmières, brancardiers, aides-soignants, sur tout ce qui n’allait pas, ma position, ma perf, mon « medical report », que sais-je encore ! Moi qui les trouvais infiniment plus pro qu’à Assouan…
Et le matériel, c’est du matériel ! Une coque rigide en plastique rouge, un autre sac à bille pour
m’envelopper, mais celui-ci a l’air sérieux, une couverture de survie, grâce à laquelle je n’aurais jamais froid…

Et la pompe à vide, qu’il a fallu transporter, est électrique à piles, pas à main. Quel progrès ! Le French Doctor prépare tout pour le lendemain, car on part à 4h du matin, se fait promettre le dossier médical complet, et va dormir au Hilton du coin. Le calme revient…

3h du matin : fini dodo, le cyclone revient, donne un coup de pied dans la porte, allume la lumière, rameute l’infirmière de nuit, tempête parce qu’évidement le « medical report » n’est pas prêt (je l’aurais parié), se plaint de ne pas avoir assez dormi…

Vers 4 h, nous sommes prêts, et nous partons dans l’ambulance, moi ficelé comme Ramsès II lors de son dernier voyage à Paris,et le French Doctor qui houspille le chauffeur –pourtant, ça roule, au Caire, à 4h du matin !- et qui donne des coups de pied dans la carrosserie parce que « ces c… !, il fait 5°C, et il n’y a même pas de chauffage dans leur ambulance ! ». Courageusement, je ne m’en mêle
pas…

Finalement, vers 7h, on me hisse par la porte arrière de l’Airbus, on m’installe tout douillet sur les dossiers des 6 sièges réquisitionnés : pendant 5 heures, je ne verrais que les coffres à bagages, à 20 cm au dessus de mon nez. Mais pendant le vol, pendant que le French Doctor dort d’un sommeil réparateur, la chef de cabine d’Air France, toujours de grande classe, viendra discuter avec nous. 

La suite est simple : je suis conduit à l’Institut Mutualiste Montsouris, ce qu’on fait de mieux dans le genre, où je suis dorloté, nettoyé, pris en charge de façon admirable, et surtout manipulé par des kinés et des infirmières qui savent faire. Pas comme à Assouan, où on me tirait un bras et une jambe pour me faire sauter du brancard vers le lit, et hop !

J’appris que j’avais bénéficié d’un 2ème miracle (après celui de l’accident) : mon bobo ne s’était pas aggravé depuis.

10 ans déjà!

1 commentaire:

Anonyme a dit…

great !

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