mardi 8 août 2017

Août 1917 Verdun Souvenirs de mon grand-père (2)

 suite....          

 J’ai eu la visite d’un jeune officier long et maigre qui, après m’avoir demandé des renseignements sur le secteur, s’est mis à examiner à la jumelle l’espace chaotique et s’étendait devant lui. Il a tenu absolument à décréter qu’un tronc d’arbre était un emplacement de minnen et qu’une planche était un créneau de mitrailleuse. J’ai d’abord discuté et puis je me suis tu car, étant l’officier de renseignement du régiment, il devait savoir toutes ces choses bien mieux que moi. Et puis, il ne pouvait décemment rapporter qu’il n’avait rien vu et ne pas donner ainsi l’occasion d’économiser des obus qui, une amabilité en appelant une autre, nous seraient royalement ou plutôt, nos ennemis étant gouvernés par des empereurs, impérialement rendus.

 J’ai même eu la visite d’un général, une visite très courte, mais au cours de laquelle une manche étoilée s’est agitée devant mes yeux pour marquer un vif mécontentement. Le motif qui me valait une observation et une colère était assez sérieux puisque mon visiteur avait découvert, dans la personne d’un de mes guetteurs, un homme sans cravate. Je ne savais pas tenir les hommes dans les petites choses, et comment ferais-je donc pour les tenir dans les grandes, celles qui regardent et intéressent le destin de la Patrie ?

 Je veux me souvenir ici d’un aumônier qui était venu me voir. Il semblait très vieux et marchait péniblement à cause de l’âge ou de la boue. Il avait relevé sa soutane sur le devant, et en maintenait le bas fixé sur son abdomen, à la manière d’une couche-culotte pour bébé, fixée au moyen d’une épingle de nourrice.

L’homme de Dieu m’a dit quelques mots puis m’a offert deux ou trois cigarettes. En s’en allant, il me laissa la paix du Christ dont j’avais sans doute besoin à ce moment-là, et je savais bien que cette sorte de paix n’était pas celle que les hommes, et encore moins la guerre, étaient capables de me donner.

 Un peu avant minuit, c’est-à-dire un peu avant l’heure où je devais reprendre ma garde, le sergent Lebouc vint me réveiller, et immédiatement je sortis de l’abri que constituait pendant mon sommeil une tôle ondulée, qui maintenait une faible épaisseur de terre au-dessus d’une excavation située entre un bout de tranchée et un pare-éclats.

            "Ils attaquent…"

Je dormais si bien, si profondément, maintenant je me trouvais dans le vacarme et la fumée. Des grenades éclataient en miaulant, des mitrailleuses enchaînaient leurs rafales, des hommes tiraient, l’artillerie donnait à plein pour le barrage qu’une fusée rouge venait de déclencher. La nuit s’était subitement éclairée de fusées qui s’attardaient au sol avant de s‘éteindre, lentement poussées par le vent. Le fracas des minnen perturbait tout et à mesure que je me sentais impuissant à dominer tout ce tumulte et toute cette horreur, un calme extraordinaire me pénétrait jusqu’à porter mon esprit à un haut degré de lucidité. Je voyais tout, j’entendais tout, je dominais tout en éprouvant sur ces hommes dont je voyais sous les casques les traits tendus, comme un ascendant que j’avais toujours ignoré. Cependant, je les sentais un peu désemparés car celui qui m’avait sorti de mon sommeil ne semblait plus maître de lui. Le sergent Lebouc était blessé et il me demanda de lui donner sa musette. En boitant, il se dirigea vers l’arrière en me laissant sa section.

 Je me revois à cette minute même où, follement, je me dressai sur le parapet, de toute ma taille, pour qu’on me vît de partout et qu’ainsi on me sentît comme un chef et au-devant d’un danger que mon attitude niait puisque je savais bien que l’ennemi n’attaquait pas. Je ne juge pas cette attitude, je ne sais pas si les circonstances la commandaient, mais j’avais obéi à un ordre intérieur dont le caractère impérieux m’avait poussé à agir de cette sorte.

 Le barrage cessa, et l’on n’entendit plus ni grenades ni balles. Des fusées continuaient seulement à balancer au ras du sol de faibles clartés en découpant sur celui-ci des ombres qui tournaient. Le calme était revenu et tout s’était apaisé comme sous la baguette d’un invisible chef qui, après avoir déchaîné de monstrueux instruments, ne jugerait pas utile à sa gloire de prolonger plus longtemps son infernal effet.

 Quelques jours plus tard, au repos, on remettait une brillante citation au sergent Lebouc. Il n’avait, disait cette citation, quitté une position violemment bombardée qu’après avoir passé les consignes à son successeur. Le successeur que j’avais été en ces circonstances héroïques se rappelait très bien que le sergent Lebouc aurait pu être cité non pour m’avoir passé des consignes, mais pour m’avoir demandé une musette à laquelle il tenait sans doute tout particulièrement.

 Inutile d’ajouter que l’histoire en amusa plus d’un…

Et cela me remet à l’esprit ces citations qui furent données à notre colonel, qui fut tué ainsi qu’un commandant, un capitaine et deux hommes, dans une sorte d’entonnoir qu’ils avaient pris comme observatoire pour mieux voir les lignes allemandes. Un obus était arrivé et je ne crois pas qu'on ait jamais retrouvé les traces de ces infortunés.

"Au moins, me dit un territorial qui circulait dans un boyau, les Boches, ce sont de vrais socialos car, regardez un peu, ils bouzillent tous les gros…"

Malgré l’union sacrée chère à Maurice Barrès, la politique ne perdait donc pas tous les droits.

On libella des citations pour les victimes, et en les écoutant, je remarquai que plus les grades étaient élevés, plus les citations étaient longues. Cela allait de quelques mots à quelques phrases. Mais, était-ce un oubli, il n’y avait rien pour les deux soldats qui pourtant avaient, eux aussi, bien mérité chacun au moins un «mort pour la France", qui eût tout de même laissé au repos cet esprit de justice et d’égalité qui veille toujours au fond des cœurs des humbles de chez nous, et particulièrement quand ces cœurs-là sont généreux et qu’ils battent sous une capote bleu horizon.

(à suivre)

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