Je vous devais cette lettre, merveilleuse "relique", dans laquelle le Sous-Lieutenant Clot explique aux vieux parents comment leur fils a été blessé. Par un "ordre formel" du Lieutenant.
Transcription de la lettre du Sous-Lieutenant Lionel Clot
adressée à M Prosper Dufau
Le M…, le 2 septembre
1917.
Monsieur,
C’est un bien triste devoir qui me vaut l’honneur de vous
écrire, et quoique l’autorité militaire nous l’interdise, je crois nécessaire
de vous prévenir, si vous ne l’êtes pas déjà, du malheur qui vous frappe.
Avant de partir pour l’ambulance, votre fils m’a prié de
vous raconter comment il avait été touché. J’étais son chef de section et nul
mieux que moi pourrait savoir quel courage et quel héroïsme il a montré.
Nous franchîmes le parapet à 4 heures 42 et arrivés à la
première position ennemie, j’envoyai votre fils nettoyer les abris, ainsi que
j’en avais reçu l’ordre. Dix minutes plus tard, la compagnie avait atteint tous
ses objectifs et le reste de la section étant en plan, je partis à travers la
plaine rejoindre l’escouade de grenadiers que commandait votre Etienne. Elle
avait accompli magnifiquement sa tâche et ramené 13 prisonniers. Nous restâmes
ainsi toute la matinée du 20, attendant la progression du régiment voisin pour
faire la liaison.
Vers 1 heure de l’après-midi, nous reçûmes l’ordre de nous
porter un peu en arrière, le lieutenant me dit de faire nettoyer un boyau.
Je lui répondis que c’était fait, mais voulant plus de
sûreté il me donna l’ordre d’envoyer mon sergent. C’était formel. Votre fils
partit donc avec les deux hommes qui restaient.
Le temps se passait et je commençais à m’inquiéter. Tout-à-coup,
je vis quelqu’un dans la plaine, levant un bras ensanglanté. Pris d’un
pressentiment, je regardai à la jumelle et je reconnus Etienne… Je courus
immédiatement à l’endroit où il était (3 ou 4 mots illisibles)
Les obus tombaient comme grêle. Arrivés à une vingtaine de
mètres de lui, nous l’appelâmes, mais il tourna vers nous son visage
ensanglanté et nous dit : « je suis aveugle ». Remué jusqu’au
fond du cœur par ces quelques mots, je fis un signe au soldat qui partit
immédiatement et ramena à grand’ peine son sergent jusqu’à moi. Nous le prîmes
alors chacun sous une aisselle et nous fîmes ainsi deux cents mètres au pas.
Comme je le plaignais, il me répondit exactement :
« Ne me plaignez pas ! J’ai été horriblement touché, mais il faut
regarder ces choses-là froidement : l’essentiel, c’est que j’ai été touché
en faisant mon devoir. Dites-le bien à mes parents ». Les brancardiers
l’emmenaient ainsi que le soldat blessé à une (mot illisible) pendant
notre retour.
Que vous dire de plus ? Je pleure un excellent camarade
de combat qui serait devenu un ami.
Je lui ai fait une citation qui je l’espère ira à l’armée,
et on l’a proposé pour la médaille militaire.
Veuillez agréer, Monsieur, ainsi que Mme Dufau, avec mes
condoléances sincères, l’expression de mon profond respect.
Signé Lionel Clot
Sous-Lieutenant Lionel Clot
1 commentaire:
c'est beau et émouvant. Etienne était de la race des Péguy et des Fournier .
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