jeudi 10 mai 2018

samedi 11 mai 1968, rue Gay-Lussac

Je vais vous parler d'événements dont vous n'avez jamais entendu parler, et d'abord, vous n'étiez pas né.

Depuis le 22 mars 1968, c'était un peu le foutoir dans les universités, d'abord à Nanterre, puis partout. Les étudiants étaient revendicatifs, et la strass débordée.

Le 3 mai, les étudiants occupent la Sorbonne, et la flicaille, requise par le recteur, l'évacue à grand renfort de matraques et de gaz lacrymogènes. Le résultat le plus probant de cette décision est de révolter absolument tous les étudiants contre les CRS (on invente CRS-SS), contre toutes les hiérarchies, contre le gouvernement..

La semaine est agitée.

Vendredi 10 mai, il y a une manif de Denfert au quartier latin, que les étudiants décident de barricader, puisque la police s'est elle-même barricadée dans la Sorbonne. Un témoin se souvient :

"L’atmosphère était assez détendue. Les étudiants faisaient groupe autour des voitures de presse. Certains manifestants s’affairaient autour des barricades élevées près de la rue St-Jacques, la rue continuait à se dépaver par plaques, on transportait des troncs d’arbre, on démolissait des chantiers, on clouait des planches, par manière de jeu. Toute animosité était absente. On aurait dit une vaste kermesse. Quelquefois, des slogans fusaient, repris, amplifiés par des milliers de bouches, telles des vagues qui allaient mourir au pied du rempart de la rue St-Jacques. La Marseillaise suivait l’Internationale. Il faisait froid, beaucoup marchaient, beaucoup s’étaient assis sous les portes cochères. "

La "kermesse" dure la soirée, et on s'installe pour la nuit, tranquillement. 

Pendant ce temps, Pompidou étant en balade en Afghanistan, les ministres les plus bêtes du parti godillot (on disait UR-Vème, après UNR et avant UDR), Fouchet (Intérieur), Peyrefitte (Education nationale),  Joxe (Justice), se consultent sur le thème "Force doit rester à la loi", "faut virer les gauchistes","c'est un coup d'état communiste", etc, et contre l'avis du préfet de police Maurice Grimaud, ordre est finalement donné de détruire les barricades "pour permettre, en particulier, d'assurer le ravitaillement des commerces".

Ils commencent vers 2 heures du matin, et finissent vers 5 heures, le 11 mai. Notre témoin raconte :


"Parisiens avec nous, scandent les étudiants. L’attaque n’avait pas été annoncée. La panique gagne. Les premiers barrages sont en feu. On en improvise d’autres, avec des voitures. Des brasiers s’allument, sinistre clarté dans une nuit hachée de déflagrations de plus en plus violentes. On étouffe. On se sent à la merci d’une grenade et on reste là, la fenêtre grande ouverte, fasciné.

La foule gronde, hurle d’indignation, de douleur, d’épouvante à chaque explosion. Elle recule. Imperceptiblement d’abord. Les barricades de la rue St-Jacques l’empêchent de s’écouler librement. A la hauteur de la rue Royer-Collard, les casques brillent. Ils sont là. Tout se confond. Les fenêtres se ferment. L’incendie fait rage. Les flammes semblent lécher les rideaux. Des silhouettes se tordent et disparaissent."

Au petit matin, on a l'impression d'une scène de guerre : "Il est plus de 4 heures. Le jour se lève. On voudrait avoir rêvé. Il s’est passé quelque chose d’irrémédiable. Des taxis, à la base du Luxembourg, recueillent les blessés. La rue offre un spectacle insoutenable, dans la lumière blafarde de l’aube ? Sur la chaussée grisâtre, gluante, ce sont des dizaines de voitures, -grotesques squelettes calcinés.
Quelques journalistes, attirés comme des mouches autour d’un cadavre, prennent des photos. Il faut émouvoir les foules. Il faut vivre.
De temps en temps, on aperçoit un brancard. Des prisonniers descendent vers le boulevard, les bras croisés, encadrés par les CRS. On a l’impression d’un gâchis démesuré, monstrueux".

Prévenu de ce beau résultat, Pompidou rentre précipitamment de Kaboul, et fait savoir sèchement qu'il est temps d'arrêter les conneries. Il donne l'ordre de rouvrir la Sorbonne.

Mais l'effet le plus immédiat de cette "victoire sur le champ de bataille" est surtout l'entrée des syndicats dans la grève générale, et la manif du 13 mai réunira plus d'un million de personnes (17 000 selon l'ORTF). On n'a pas encore défini la théorie du dentifrice : il est facile de le sortir du tube, mais très difficile de le faire rentrer.

Plusieurs effets à long terme :
  • les rues sont dépavées en urgence pendant l'été (on ne célébrera jamais assez le "pavé de mai 68", qui tenait si bien dans la main) pour mettre partout de l'immonde bitume.
  •  la police stationnera en grand nombre de juin 68 à mi 74 dans le quartier latin, encombrant tous les trottoirs, prête à se jeter sur n'importe qui, et passant le temps à jouer aux cartes ou à lire des revues "pour adultes"...
  • les polytechniciens, qui avaient le malheur d'habiter dans le quartier, ont été déportés, provisoirement de septembre 68 à février 69, durablement sur le plateau de Saclay, dans la boue, sans voisin et sans transport.








2 commentaires:

Anonyme a dit…

Comme vous avez l'air d'être un type intelligent, j'aimerais que vous nous dites pour qui vous avez voté ces 40 dernières années.

Merci à vous !

Charles

François a dit…

Charles? Voter est un devoir, et je l’ai exercé toute ma vie, même quand c'était difficile.
Cependant le vote est secret en France, et je n’ai aucune raison de révéler ceci pour vous. Il vous suffit de savoir que jusqu’à mon dernier souffle, je ferai barrage à ceux qui portent, naturellement et sans complexe, la haine, le rejet de l’autre, l’exclusion, dans un populisme nauséabond.

Le dernier point sur les vaccins

Hier 14 juin 2021, le Président Macron tenait une conférence de presse à l'issue du conseil de l'OTAN, et de sa conversation avec...