C'est une question qu'on me pose parfois, et une de mes connaissances me le demandait encore il y a peu, avec tant d'insistance que je me résous à vous livrer quelques réflexions.
Il y a déjà la question du pourquoi lire Proust. Il faut faire confiance à ceux qui s'y sont déjà lancés et qui en sortent enthousiasmés. Oui, mais encore? Parce que c'est la plus fabuleuse galerie de portraits qui ait jamais été écrite. Et encore parce qu'on y apprend à regarder les tableaux, dont il a une connaissance insondable. Surtout parce qu'on y apprend à vivre, non par l'exemple mais par la métaphore. Lisez plutôt, il le dit lui-même :
"On peut faire se succéder indéfiniment dans une description les objets
qui figuraient dans le lieu décrit, la vérité ne commencera qu'au moment où
l'écrivain prendra deux objets différents, posera leur rapport, analogue dans
le monde de l'art à celui qu'est le rapport unique de la loi causale dans le
monde de la science, et les enfermera dans les anneaux nécessaires d'un beau
style, ou même, ainsi que la vie, quand, en rapprochant une qualité commune à
deux sensations, il dégagera leur essence en les réunissant l'une et l'autre,
pour les soustraire aux contingences du temps, dans une métaphore, et les
enchaînera par le lien indescriptible d'une alliance de mots."
Ah, cette phrase "l'écrivain ... les enfermera dans les anneaux nécessaires d'un bon style... par le lien indescriptible d'une alliance de mots"! Car c'est un miracle de découvrir d'aussi belles perles au détour d'une phrase... Pour ma part, je suce comme un bonbon les adjectifs : "le double tintement timide, ovale et doré de la clochette..."
Je m'égare... Pour commencer, il est utile de disposer de quelques repères. D'abord Un amour de Swann peut se lire séparément, sachant que cet épisode d'une vie ratée, qui se suffit à lui-même, n'est que le prélude à l'ensemble, la première arche de ce qui deviendra une cathédrale. La vie du Narrateur aurait pu finir ainsi...
Je recommande aussi les excellentes BD éponymes de Stephane Heuet, chez Delcourt. Rien que des citations, avec un dessin délicat qui donne envie.
Ensuite, il est bon d'avoir auprès de soi un accès à Wikipedia, pour avoir une reproduction des tableaux dont le Narrateur nous parle. Vous perdez beaucoup, par exemple, en ne connaissant pas "la Charité" par Giotto, dont le Narrateur parle si bien.
Un ami très proche m'a offert un livre reproduisant, en face du texte, tous les tableaux- ou presque- évoqués. Un vrai livre de chevet.
Enfin, il n'est pas inutile de feuilleter le dernier tome dans la Pléiade : il y a là un dictionnaire des personnages. On repère bien sûr les principaux : le Narrateur, bien sûr, Maman, la Grand-Mère, Françoise (la bonne de Madame Octave), Madame Verdurin, Gilberte, mais on s'y perd un peu dans les titres de noblesse qui évoluent avec le temps : la princesse des Laumes devient la duchesse de Guermantes, et c'est un détail qui peut échapper. Et Madame Verdurin finira comme ...Non, je ne spoilerai pas!
Le peintre Elstir, le musicien Vinteuil, l'écrivain Bergotte, le docteur Cottard seront vite des connaissances. Vous verrez comment la haute noblesse tout autant que le petit peuple s'amuse, et vous en serez ébaubis. Vous frémirez à leurs turpitudes, en souriant de leurs réparties. Odette, Legrandin, Bloch, Charlus, Saint-Loup, Madame de Saint-Euverte, le giletier, s'intégreront dans votre univers comme ils sont dans celui du Narrateur.
Vous attendrez les passages célèbres, la madeleine trempée dans du thé, la mort de Bergotte devant un Vermeer (la "Vue de Delft", avec son petit pan de mur jaune, "si bien peint"), les pavés inégaux, les clochers de Martinville. Et tous les autres qui entreront dans votre panthéon personnel.
Vous vous méfiez des phrases longues? Méfiez vous plutôt de ceux qui ne savent pas lire, et ne sentent pas la respiration du texte. La phrase la plus longue concerne les fenêtres, à propos de celles du Grand Hôtel de Balbec, et elle se lit d'un trait. Mais il est vrai qu'il faut rentrer dedans, comme dirait Françoise.
Bon courage!
De la curiosité ... Avant toute chose.... Sur des sujets divers... Sans oublier des coups de gueule, Et des provocations! De l'humour, toujours. Du premier degré, jamais!
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4 commentaires:
moi rien compris !
Pas de panique, c'est normal.
F
eh oui, la sonate en fa de Vinteuil : une très belle madeleine de 4 pages !!
Ne serait-elle pas plutôt en fa dièse?
Extrait :
– Mais pourquoi veux-tu que ça l'ennuie, dit M. Verdurin, M. Swann ne connaît peut-être pas la sonate en fa dièse que nous avons découverte ; il va nous jouer l'arrangement pour piano.
– Ah ! non, non, pas ma sonate ! cria Mme Verdurin, je n'ai pas envie à force de pleurer, de me fiche un rhume de cerveau avec névralgies faciales, comme la dernière fois ; merci du cadeau, je ne tiens pas à recommencer ; vous êtes bons vous autres, on voit bien que ce n'est pas vous qui garderez le lit huit jours !
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