dimanche 4 novembre 2018

Souvenirs de mon Grand-Père : le 11 novembre 1918

Les commémorations ont commencé, et je me souviens....


              Des mois passèrent encore, quatre ou cinq, de ces mois qui précèdent une victoire et pendant lesquels on doute ou espère tour à tour.

            J’avais quitté Maison-Blanche et j’étais chez moi, partageant comme je pouvais mon temps entre le fauteuil de mon père et celui de mon frère, chez qui j’avais presque élu domicile car ma belle-sœur considérait que ma mère ne saurait me donner une nourriture convenable. Je sortais assez souvent et je ne manquais guère d’occasions ni d’invitations.

            Pour ne pas allonger vainement ces lignes, j’en viendrai tout de suite au jour de l’armistice, mais le récit que j’en ferai sera très bref et uniquement pour la raison que j’en donne ici.

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            Ce matin-là, j’ai quitté d’un bond le fauteuil dans lequel je m’étais installé. Depuis le matin courait le bruit que l’armistice serait signé dans la journée. Or je venais d’entendre les cloches et c’était cela qui me mit d’un saut sur le seuil du 5 de la rue F. de Neufchâteau, au contact de la rue. Il était onze heures, exactement. Toutes les cloches de la capitale battaient et, en prêtant l’oreille, on pouvait surprendre les notes puissantes et graves de la Savoyarde. Mon cœur battait comme devait battre, en ces instants-là, tout le cœur immense et innombrable de la France.

            Des camions montés par des Américains quittaient le gymnase Japy en donnant éperdument du klaxon. Des cris et des chants me parvenaient de toutes parts. Des gens dévalaient les escaliers précipitamment, se réunissaient devant les portes et s’en allaient grossir des cortèges qui parcouraient déjà le boulevard Voltaire, en marche vers le centre de la capitale. Le canon, sans doute celui du Mont Valérien, tonnait.

            La Madelon répondait à la Marseillaise et la Marseillaise répondait à la Madelon. La Victoire libérait les âmes de l’angoisse et les corps des servitudes quotidiennes. La Victoire devait planer très haut dans le ciel, soulevée par d’immenses ailes d’or.

            Et c’était fini, enfin fini, la guerre. On ne pouvait pas encore tout à fait croire la réalité bouleversante. On avait envie de pleurer et de rire à la fois, mais on ne savait pas très bien si l’on souffrait de trop de bonheur ou si l’on frémissait de joie en souffrant. Je ne sais plus de quoi se composait un tel moment, qui ne pouvait se traduire que par un besoin de sortir dehors, de marcher avec n’importe qui, d’aller n’importe où, pourvu qu’il y ait beaucoup de monde et beaucoup de bruit.

            Je me suis avancé jusqu’au boulevard Voltaire, où quelqu’un prit le temps de dire qu’une boulangère de la rue de Belfort ne cessait de sangloter à cause d’un mari qu’elle avait perdu depuis peu à la guerre.

            Ma vue avait baissé sérieusement depuis quelques semaines et je m’aperçus plus particulièrement, en ce jour inoubliable, qu’elle ne me permettrait plus désormais de me diriger seul dans la rue.

            Je rentrai donc non sans peine dans la loge d’où je venais de sortir et cela non sans me heurter à des personnes qui couraient sans prendre garde à ma démarche hésitante.

            La Victoire était là tout de même et elle m’exaltait comme une récompense suprême et tellement attendue.

            J’avais regagné mon fauteuil et j’écoutais tinter des cloches encore. L’une d’elles, me semblait-il, sonnait comme un glas.
           
ED

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